Manifeste 2020
Josef Zisyadis

L’agriculture capitaliste ne peut pas nourrir ni notre ventre, ni notre tête ! En Suisse, en 20 ans, un tiers des exploitations agricoles ont disparu. Près de la moitié ont désormais une taille de plus de 20 ha. Les conditions de vie des paysans se sont aggravées. L’ouverture des marchés fait pression sur les prix, alors que la part de la nourriture dans le budget des ménages est désormais de 6%. Ce « rien mensuel » justifie le gaspillage alimentaire, jusqu’à 35% de la nourriture qui part à la poubelle.
Ce que nous mijote l’agro-industrie est largement connu : il s’agit d’une agriculture sans paysans et sans élevage. Priorité donc aux pétro-aliments, aux biotechnologies alimentaires, aux nano-aliments et aux aliments irradiés, sans oublier les viandes artificielles.
Le programme commun de l’agro-industrie nécessite la disparition des traditions culinaires, la mondialisation des plats. Il a pour conséquence le développement d’une cuisine de prêt-à-manger et à terme la suppression des cuisines dans les lieux d’habitation, comme arriération culturelle.
Nous sommes placés devant un choix planétaire : être gavés par quelques centaines de milliers d’agro-managers robotisés et branchés sur internet ou être nourris par un milliard et demi de petits paysans défendant les principes de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie.
L’uniformisation du goût va de pair avec la disparition de la biodiversité végétale et animale. La nourriture finit par ne plus parler à la population, la convivialité autour de la table s’efface au profit du gavage rapide et solitaire. Et la boucle est bouclée pour le profit des grandes multinationales de l’agro-alimentaire.
Aujourd’hui, la défense du goût et du plaisir du goût devient un acte politique de résistance contre la destruction des saveurs et l’abolition des liens entre mangeurs et producteurs de la communauté qui nous nourrit tous les jours. Manger est un acte agricole ! Le grand changement, c’est que les producteurs de nourriture ne sont plus seuls face à l’agro-industrie, les mangeurs sont devenus leurs alliés.
4 propositions modestes mais urgentes pour revenir sur terre
Proposition 1
L’espoir doit être porté vers une agroécologie sans énergies fossiles, soit un modèle agricole à très haute productivité par unité de surface, sans motorisation. Sans pesticides. Où l’agroforesterie, la polyculture, l’élevage millénaire sont à la base d’une petite agriculture paysanne mondiale. Dans cette perspective, un premier acte serait de taxer les pesticides et redistribuer intégralement les recettes de cette taxe à ceux qui se convertissent au bio : une sorte de bonus/malus sur les produits agricoles. La Suisse doit se fixer comme objectif de devenir un pays entièrement bio dans la décennie.
Proposition 2
La disparition des traditions culinaires au sein de la famille est devenue un axe fondamental de la propagation de la malbouffe voulu par les grands groupes alimentaires. La culpabilisation et les refrains diététiques à l’égard des jeunes n’ont aucun sens si une éducation au goût et à l’alimentation n’est pas introduite dès le plus jeune âge à l’école. Elle exige des formations et qualifications des enseignants. Elle doit postuler l’ouverture des écoles aux producteurs de nourriture et aux cuisiniers du territoire. Tous les réfectoires scolaires doivent disposer d’une cuisine autonome où les élèves à tour de rôle sont appelés à participer. Cette éducation au goût devra s’accompagner de la création de jardins potagers dans toutes les écoles avec des semences libres.
Proposition 3
L’inscription du principe de la souveraineté alimentaire dans la Constitution et la réorientation de toutes les politiques publiques (communes, cantons, Confédération) pour des augmentations des surfaces de notre avenir alimentaire doit devenir prioritaire. Les semences paysannes libres, les variétés ancestrales doivent être soustraites à la marchandisation et devenir propriété publique. L’ensemble de la production paysanne doit être réorientée vers l’assiette du futur (2050) que les mangeurs disposeront avec à terme une planète de 10 milliards d’habitants : augmentation des légumineuses, plus de fruits et légumes, abolition des exploitations industrielles de viande au profit des filières artisanales (donc réduction de la production carnée), saisonnalité, proximité, interdiction définitive des OGM.
Proposition 4
En lieu et place des paiements directs indistincts à toute forme d’agriculture, aujourd’hui ravagée par la baisse de son revenu, sa disparition progressive et ses dettes, il faut mettre en place une caisse de l’alimentation sur le modèle de l’AVS, avec une gestion démocratique citoyenne. Cette caisse devrait permettre la reconversion de l’ensemble de l’agriculture du pays vers la production biologique paysanne. Cette caisse devrait permettre à tout un chacun d’accéder par le biais d’allocations mensuelles à une nourriture bio de qualité, dans les circuits courts auprès de producteurs, restaurateurs, réfectoires, boulangers, bouchers, fromagers, vignerons, agréés par la caisse. Cette proposition innovatrice pourrait avoir trois conséquences heureuses : une augmentation du nombre des petits producteurs bio, un paiement vraiment rémunérateur aux paysans et enfin une démocratisation de l’accès des produits bio de qualité. Elle en a une dernière, pas négligeable, elle soustrait une partie de la nourriture de la population à l’agro-industrie.